S. f. (Morale) je mets les plantations au rang des vertus, et j'appelle ce soin une vertu morale nécessaire à la société, et que tout législateur doit prescrire.

En effet, il n'est peut-être point de soin plus utîle au public que celui des plantations ; c'est semer l'abondance de toutes parts, et léguer de grands biens à la postérité. Que les princes ne regardent point cette idée comme au-dessous de leur grandeur. Il y a eu des héros de leur ordre dans ce genre, comme dans l'art de la destruction des villes, et de la désolation des pays. Cyrus, dit l'histoire, couvrit d'arbres toute l'Asie mineure. Qu'il est beau de donner une face plus belle à une partie du monde ! La remplir de cette variété de scènes magnifiques, c'est approcher en quelque sorte de la création.

Caton, dans son livre de la vie rustique, donne un conseil bien sage. Quand il s'agit de bâtir, dit-il, il faut longtemps déliberer, et souvent ne point bâtir ; mais quand il s'agit de planter, il serait absurde de déliberer, il faut planter sans délai.

Les sages de l'antiquité n'ont point tenu d'autres discours. Ils semaient, ils plantaient ; ils passaient leur vie dans leurs plantations et dans leurs vergers ; ils les cultivaient soigneusement, ils en parlaient avec transport.

Hic gelidi fontes, hic mollia prata, Lycori,

Hic nemus, hic ipso tecum consumerer aevo.

Virg. Eclog. X. 42.

" Ah ! Lycoris, que ces clairs ruisseaux, que ces prairies et ces bois forment un lieu charmant ! c'est ici que je voudrais couler avec toi le reste de mes jours. "

Ipsae jam carmina rupes,

Ipsa sonant arbusta.

" Les rochers et les arbustes que tu as plantés tout autour de ce hameau, y répètent déjà nos chansons. "

Virgile lui-même a écrit un livre entier sur l'art des plantations.

Ipse thymum, pinosque ferents de montibus altis

Tecta serat latè circùm, cui talia curae :

Ipse labore manum duro terat : ipse feraces

Figat humo plantas, et amicos irriget imbres.

" Que celui qui préside à vos ruches, ne manque pas de semer du thym aux environs ; qu'il y plante des pins et d'autres arbres, qu'il n'épargne point sa peine, et n'oublie pas de les arroser ! "

Atque equidem extremo ni jam sub fine laborum

Vela traham, et terris festinem advertère proram,

Forsitan et pingues hortos quae cura colendi

Ornaret canerem....

" Si je n'étais pas à la fin de ma course, je ne commencerais pas à plier déjà mes voiles prêt d'arriver au port ; peut-être enseignerais-je ici l'art de cultiver les jardins, et de former des plantations dans les terres stériles. "

Namque sub Oebaliae memini me turribus altis,

Quâ niger humectat flaventia culta Galaesus,

Corycium vidisse senem, cui pauca relicti

Jugera ruris erant ; nec fertilis illa juvencis,

Nec pecori opportuna seges, nec commoda Baccho.

Hic rarum tamen in dumis olus, albaque circum

Lilia verbenasque prements, vescumque papaver,

Regum aequabat opes animis, serâque revertens

Nocte domum dapibus mensas onerabat inemptis.

Primus vère rosam, atque autumno carpere poma :

Et cum tristis hyems etiamnum frigore saxa

Rumperet, et glacie cursus fraenaret aquarum ;

Ille comam mollis jam tùm tondebat acanthi,

Aestatem increpitants seram, Zephyrosque morantes.

Illi tilia, atque uberrima pinus :

Quotque in flore novo pomis se fertilis arbos

Induerat, totidem autumno matura tenebat.

Ille etiam seras in versum distulit ulmos,

Eduramque pyrum, et spinos jam pruna ferentes,

Jamque ministrantem platanum potantibus umbram.

Verùm haec ipse equidem spatiis exclusus iniquis,

Praetereo.

Georg. liv. IV. 125. 150.

" Près de la superbe ville de Tarente, dans cette contrée fertîle qu'arrose le Galèse, je me souviens d'avoir Ve autrefois un vieillard de Cilicie, possesseur d'une terre abandonnée, qui n'était propre ni pour le pâturage, ni pour le vignoble ; cependant il avait fait de ce terrain ingrat un agréable jardin, où il semait quelques légumes bordés de lys, de vervene et de pavots. Ce jardin était son royaume. En rentrant le soir dans sa maison, il couvrait sa table frugale de simples mets produits de ses travaux. Les premières fleurs du printemps, les premiers fruits de l'automne naissaient pour lui. Lorsque les rigueurs de l'hiver fendaient les pierres, et suspendaient le cours des fleuves, il émondait déjà ses acanthes ; dèja il jouissait du printemps, et se plaignait de la lenteur de l'été. Ses vergers étaient ornés de pins et de tilleuls. Ses arbres fruitiers donnaient en automne autant de fruits, qu'au printemps ils avaient porté de fleurs. Il savait transplanter et aligner des ormeaux déjà avancés, des poiriers, des pruniers greffés sur l'épine, déjà portant des fruits, et des planes déjà touffus à l'ombre desquels il regalait ses amis. Mais les bornes de mon sujet ne me permettent pas de m'arrêter plus longtemps sur cette peinture ".

C'est pourquoi je me contenterai d'observer avec Virgile, que l'amusement des plantations ne procure pas seulement des plaisirs innocens, mais des plaisirs durables, et qui renaissent chaque année. Rien en effet ne donne tant de satisfaction que la vue des paysages qu'on a formés, et des promenades délicieuses à l'ombre des arbres qu'on a plantés de ses mains.

On pourrait même, ce me semble, charger un domaine entier de plantations différentes, qui tourneraient également au plaisir et au profit du propriétaire. Un marais couvert de saules, un coteau planté de chênes, serait sans doute plus profitable qu'en abandonnant le terrain à sa stérilité naturelle. Des haies fortifiées et décorées d'arbres forment un rempart utile, agréable et solide.

Il n'est pas besoin de se montrer trop curieux de la symétrie des plantations. Tout le monde est en état de remplacer des arbres à la ligne et à la règle, en échiquier, ou en toute autre figure uniforme ; mais doit-on s'astraindre à cette régularité sans oser s'en écarter ? Et ne ferait-on pas mieux de cacher quelquefois l'art du jardinier ? Présenter toujours des arbres qui s'élèvent en cones, en globes, en pyramides, en éventail, sur chacun desquels on reconnait la marque des ciseaux, est plutôt l'effet d'un goût peigné, que celui de la belle nature. Ce n'est pas ainsi qu'elle forme ses admirables sites. Des forêts de citronniers ne sont pas moins superbes avec toute l'étendue de leurs branches, que taillés en figures mathématiques. Un grand verger dont les pommiers sont en fleurs, plait bien davantage que les petits labyrinthes de nos parterres. Qui est celui qui ne préférerait à nos arbres nains, des chênes de plusieurs centaines d'années, et des grouppes d'ormes, propres à mettre à couvert de la pluie un grand nombre de cavaliers.

Quoi qu'il en soit des plantations symétriques ou sauvages, je ne recommande pas les unes ou les autres aux grands et aux riches, par la seule raison qu'elles sont un amusement agréable, en même temps qu'une décoration de leurs maisons de campagne ; j'ai des motifs plus nobles à leur proposer ; je leur recommande les plantations de toutes parts, parce que c'est un emploi digne d'un citoyen vertueux, et qu'il s'y doit porter par des principes tirés de la morale, et entr'autres par celui de l'amour du genre humain.

Ce n'est pas tout ; je soutiens qu'on est inexcusable de manquer à un devoir de la nature de celui-ci, et dont il est si facîle de s'acquitter. Lorsqu'un homme pense que le soin de mettre chaque année, tantôt d'un côté, tantôt de l'autre, quelques rejetons en terre, peut servir à l'avantage d'un autre qui ne viendra dans le monde qu'au bout de cinquante ans ; lorsqu'il songe qu'il travaille peut-être au soutien ou à l'aisance d'un de ses arriere-neveux ; s'il trouve alors quelque répugnance à se donner cette peine, il doit en conclure qu'il n'a nuls principes, nul sentiment de générosité.

Quelqu'un a dit d'un citoyen industrieux et bienfaisant, qu'on peut le suivre à la trace. Ces deux mots peignent à merveille les soins d'un honnête homme, qui en cultivant des terres, y a laissé des marques de son industrie et de son amour pour ceux qui lui succéderont.

Ces réflexions ne viennent que trop à-propos dans un siècle où les arts les plus utiles à la conservation de la société sont entièrement négligés, et les soins de la postérité pleinement abandonnés, si même ils ne sont pas tournés en ridicule. Nos forêts ne nous fourniraient plus de bois pour bâtir, si nos ancêtres avaient pensé d'une façon si basse et si méprisable.

Les Tartares du Daghestan, tout barbares qu'ils sont, habitants d'un pays stérile, ont une coutume excellente qu'ils observent soigneusement, et qui leur tient lieu de loi. Personne chez eux ne se peut marier, avant que d'avoir planté, en un certain endroit marqué, cent arbres fruitiers ; en sorte qu'on trouve actuellement partout dans les montagnes de cette contrée d'Asie, de grandes forêts d'arbres fruitiers de toute espèce. On ne trouve au contraire dans ce royaume que des pays dénués de bois dont ils étaient autrefois couverts. Le dégât et la consommation en augmentent tellement, que si l'on n'y remedie par quelque loi semblable à celle de l'ancienne patrie des Thalestris, nous manquerons bien-tôt de bois de charpente pour nos usages domestiques. On ne voit que des jeunes héritiers prodigues, abattre les plus glorieux monuments des travaux de leurs pères, et ruiner dans un jour la production de plusieurs siècles.

En un mot, nous ne travaillons que pour nous et nos plaisirs, sans être aucunement touchés de l'intérêt de la postérité. Ce n'est pas cette façon de penser que la Fontaine prête à son octogénaire qui plantait. On sait avec quelle sagesse il parle aux trois jouvenceaux surpris de ce qu'il se charge du soin d'un avenir qui n'était pas fait pour lui. Le vieillard, après les avoir bien écoutés, leur répond

Mes arrieres-neveux me devront cet ombrage.

Hé bien défendez-vous au sage

De se donner des soins pour le plaisir d'autrui ?

Cela-même est un fruit que je goute aujourd'hui,

J'en puis jouir demain, et quelques jours encore.

Le Chevalier DE JAUCOURT.

PLANTATION, (Jardinage) se dit d'un jardin entier à planter : j'ai une grande plantation à faire.